samedi 2 mai 2009

Réconciliation

Depuis plusieurs années, j'étais brouillée avec Sophie. Sophie était admirée partout, tout le monde adooooorait Sophie dans ce foutu monde de l'art. Je ne saisissais pas. Et moins je comprenais, plus je m'énervais. Comment des œuvres purement égotistes parvenaient-elles à produire autant de sens et de bruit ?

Le téléphone qu'elle réalisa avec Frank Gehry en 2006 exacerba encore un peu plus mon irritation. Cette cabine téléphonique fleur, installée sur le pont de Garigliano, lui servirait de "boîte à s'épancher". Elle appellerait de façon aléatoire pour raconter des histoires aux passants. Je me revois encore m'arracher les cheveux devant ces articles bobos glorifiant l'art narratif ; "Sophie, au fond, tes histoires, personne n'en a rien à taper".


Téléphone, Sophie Calle et Frank Gehry, 2006

C'était injuste, elle, la fille de collectionneur, armée de quelques idées et surtout d'un réseau solidement tissé, arrivait à faire circuler son nom dans le monde entier. Tant d'autres ne passaient pas leur temps à se regarder le nombril et restaient pourtant cantonnés à nos frontières.

En 2008, je boycottais un peu l'exposition-événement à la BNF autour de son projet Prenez soin de vous. Aujourd'hui, alors que je déambule parmi les galeries de Chelsea, je tombe sur l'expo*, j'entre en dilettante. Se produit alors un instant de pur kiffe, de ces moments où tu changes d'avis sur un truc autour duquel tu avais des certitudes. Tout commence par un mail de rupture qu'elle reçoit. Elle prend ce texte qui la bouleverse et demande à des femmes, toutes très différentes, de l'interpréter. Le résultat n'est pas mièvre. L'approche est fine, intelligente et touchante. J'étais certaine que sa vie de bourgeoise ne pourrait jamais faire sens et résonner dans ma vie. Je me suis trompée.


Sophie,
Cela fait un moment que je veux vous écrire et répondre à votre dernier mail. En même temps, il me semblait préférable de vous parler et de dire ce que j’ai à vous dire de vive voix.
Mais du moins cela sera-t-il écrit.
Comme vous l’avez vu, j’allais mal tous ces derniers temps. Comme si je ne me retrouvais plus dans ma propre existence. Une sorte d’angoisse terrible, contre laquelle je ne peux pas grand-chose, sinon aller de l’avant pour tenter de la prendre de vitesse, comme j’ai toujours fait.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, vous aviez posé une condition : ne pas devenir la “quatrième”. J’ai tenu cet engagement : cela fait des mois que j’ai cessé de voir les “autres”, ne trouvant évidemment aucun moyen de les voir sans faire de vous l’une d’elles. Je croyais que cela suffirait, je croyais que vous aimer et que votre amour suffiraient pour que l’angoisse qui me pousse toujours à aller voir ailleurs et m’empêche à jamais d’être tranquille et sans doute simplement heureux et “généreux” se calmerait à votre contact et dans la certitude que l’amour que vous me portez était le plus bénéfique pour moi, le plus bénéfique que j’ai jamais connu, vous le savez. J’ai cru que L’I… serait un remède, mon “intranquillité” s’y dissolvant pour vous retrouver. Mais non. C’est même devenu encore pire, je ne peux même pas vous dire dans quel état je me sens en moi-même. Alors, cette semaine, j’ai commencé à rappeler les “autres”. Et je sais ce que cela veut dire pour moi et dans quel cycle cela va m’entraîner.
Je ne vous ai jamais menti et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer. Il y avait une autre règle que vous aviez posée au début de notre histoire : le jour où nous cesserions d’être amants, me voir ne serait plus envisageable pour vous. Vous savez comme cette contrainte ne peut que me paraître désastreuse, injuste (alors que vous voyez toujours B., R.,…) et compréhensible (évidemment…) ; ainsi je ne pourrais jamais devenir votre ami.
Mais aujourd’hui, vous pouvez mesurer l’importance de ma décision au fait que je sois prêt à me plier à votre volonté, alors que ne plus vous voir ni vous parler ni saisir votre regard sur les choses et les êtres et votre douceur sur moi me manqueront infiniment.
Quoi qu’il arrive, sachez que je ne cesserai de vous aimer de cette manière qui fut la mienne dès que je vous ai connue et qui se prolongera en moi et, je le sais, ne mourra pas.
Mais aujourd’hui, ce serait la pire des mascarades que de maintenir une situation que vous savez aussi bien que moi devenue irrémédiable au regard même de cet amour que je vous porte et de celui que vous me portez et qui m’oblige encore à cette franchise envers vous, comme dernier gage de ce qui fut entre nous et restera unique.
J’aurais aimé que les choses tournent autrement.
Prenez soin de vous.
G.


Article de Libé sur l'expo parisienne ici.

*Galerie Paula Cooper

1 commentaire:

-- a dit…

si tu veux regarder le film qui va avec l'expo.

http://www.ubu.com/film/calle_double.html